LES HOMMES MAUDITS

proposition de lecture par Amon Xander

Noussi ou le sacrifice d’une femme seule

Pierre Sonore Djiogue nous offre, en juin 2023, son roman Les hommes maudits, après ses deux premiers livres Les Civilisés et Une vie un destin parus aux éditions de Midi. Ce roman est publié par les éditions Muse puis par le éditions COGNITO ; c’est un regard appuyé sur les faits que vont nous faire vivre les divers personnages.

Wabo est un homme comme tous les autres, ce qu’il y a de plus ordinaire ; avec une femme et des enfants, mais aussi l’alcool et la débauche comme autres partenaires. C’est surtout un homme violent que sa femme, l’inébranlable Noussi, continue de supporter, habituée, comme elle dit, à ces infidélités ouvertes.

Noussi est la femme idéale, celle qui courbe l’échine pour sa famille et ne nuit pas à la liberté de son mari. Elle doit affronter ainsi, au quotidien, les écarts de Wabo, une belle-mère qui ne l’aime pas dans le fond et la vie elle-même qui n’est pas tendre à Laouda, cette ville qui semble ne jamais dormir et accorde ses faveurs à ceux qui ne reculent devant rien.

L’écriture

Avec une plume qui s’arrête sur chaque détail pour apporter pleine exploration des contextes au lecteur, Pierre Sonore Djiogue invite à une lecture ouverte et décomplexée. Les évènements suivent leur cours sans lourdeur et se succèdent dans le naturel de leur condition. Bien concentré sur le paysage de son roman, l’auteur ne s’encombre pas de formules qui pourraient distraire le lecteur, car il tient à ce que ce dernier en tire le maximum de plaisir possible.

« Les femmes, des adolescentes aux plus âgées, ouvrent chacune son comptoir.  Elles trouvent dans le commerce  de leur corps le seul moyen de survie. C’est un marché comme les autres. Personne n’a le droit de s’asseoir au risque de n’avoir aucun client pour la soirée. Ces travailleuses doivent rester debout, proposer leurs services, leurs marchandises aux passants en insistant sur la qualité. »

Ce passage indique comment l’écriture s’implique dans le quotidien des personnages en puisant chacune de ses lettres dans leurs pensées. Pierre Sonore n’écrit pas avec la prétention d’un romancier nourri au genre, au Prix et à ce qui se vend, mais avec ce que propose le cadre de son intrigue.

La famille et le mariage

Noussi est une femme de devoir qui veille à la stabilité de son foyer et au bien-être de ses enfants.

A travers elle, se dégagent plusieurs défis auxquels la femme continue de faire face dans l’engagement que représente le mariage. Comme beaucoup d’entre elles, Noussi est d’abord soutenu par son mari Wabo, quand la mère de ce dernier exige d’elle un garçon alors qu’elle vient de donner naissance, une fois de plus, à une fille qui ne saurait être héritière.

« Depuis quand les femmes succèdent, plus est à un homme ? Dans tous les cas, je ne te comprends plus. Je ne sais pas ce que cette fille t’a donné mais je ne la laisserai pas faire. Je verrai quoi faire avec tes sœurs et tu en seras tenu informé… »

L’extrait ci-dessus, à lui seul, embrasse ces divers préjugés tels que l’envoûtement par lequel la femme aurait soumis son mari ; on y retrouve aussi la place que la femme elle-même impose à la fille. Pierre Sonore tient aussi ici à (re)préciser les idées tel que la société les a établies, avant que toute discrimination ne soit renvoyée sur le dos de l’homme. Le texte permet au lecteur de ne pas perdre de vue la position que la société entretient, de façon globale, et les hommes en particulier.

Les perspectives pour les femmes

Sans se définir comme un féministe, Pierre Sonore présente un paysage cohérent où la femme se construit en toute logique, sans aucune faveur de l’auteur ; ceci détache le texte de certaines conventions tacites où les personnages mâles sont amoindris pour que les féminins soient forts.

Noussi, dans une ville de Laouda rompue à la prostitution, la violence et autres formes de « facilités » pour avoir de l’argent et s’en sortir avec ses deux filles. Et comme elle, d’autres femmes vivant des conditions critiques arrivent trouver une prairie dans cette jungle. Mais l’intelligence de la plume de l’auteur est aussi de mettre en scène des personnages menant des vies saines sans pour autant être matériellement aisés ; contrairement à la pratique qui veut que l’on présente le bonheur comme issu de la bourgeoisie.

Pierre Sonore Djiogue

L’héritage

En abordant la question de la jeune fille dans « la jungle », la plume de Pierre Sonore ne s’interdit aucune réalité, surtout pas celle qui est dominée par les influenceuses qui attirent toutes formes d’envies et représentent les nouveaux modèles.

La fille de Noussi, désormais à l’université, décide d’emprunter un chemin qui en rajoute au stress pourtant déjà pressant de sa mère.

La question quitte l’imagination de l’auteur pour s’imprimer dans l’esprit du lecteur, avec l’espoir que celui-ci puisse comprendre les enjeux de l’éducation tant sur le plan individuel que collectif ; à cette ère de grande vitesse, il est important de maintenir les esprits en éveil.

Et la noblesse de la femme, quoi qu’il en soit, quoi qu’on lui prête, quoi qu’on en fasse, est indémontable ; tout comme cette condition de l’homme qui bien trop souvent ne se retrouve que lorsqu’il a perdu la source de son équilibre, et la plume de l’auteur n’y échappe pas :

« Leurs filles ayant suffisamment grandi, elle les autorise à aller régulièrement chez leur père lui faire à manger, en attendant qu’il se trouve une autre épouse, même s’il dit ne plus être prêt à essayer une autre expérience si ce n’est avec elle. »

A lire et méditer.


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